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Samouraïs (19/03/2022) -Y aller- Zénobie (05/01/2022) -Y aller-

 

Samouraïs et Femmes

- Publication du 19/03/2022 -

Si les histoires d'exploits de Samouraïs ne manquent pas dans la pop culture occidentale, il s'agit toujours de samouraïs masculins au point que beaucoup de gens pensent que c'était une caste réservée aux hommes. Et pourtant la réalité est tout autre, encore une preuve que c'est bien les vainqueurs (comprendre ceux qui ont le pouvoir à un moment T) qui décident de ce que l'histoire doit retenir ou pas !

Il y avait donc des femmes samouraïs. Et on ne parle pas de quelques exceptions puisqu'elles avaient même un terme propre pour les désigner : ‘Onna Bugeisha’ (Femme Combattante). Contrairement à ce que ce nom pourrait suggérer, les Onna-bugeisha, n’ont pas de lien avec les geishas ! Selon une étude du très sérieux 'Japan Times', elles avaient les mêmes entraînements que les hommes en ce qui concerne la combat et l'utilisation de l'armement. Une de leurs armes principales était une lame courbe montée au bout d'un bâton (Naginata) et elles excellaient dans l’art du combat à la dague (Tantojutsu) avec une lame appelée ‘Kaiken’.

Le code du guerrier japonais (Bushido, littéralement « voie martiale du guerrier ») indique :

« Le courage, la rectitude, la maîtrise de soi-même, la justice, la bienveillance, la politesse, la sincérité et le mépris de la mort sont les vertus cardinales constituant les règles de vie et l’éthique des samouraïs ».

Rien que ne puissent porter en elles des guerrières.

Tenus aux mêmes standards, les samouraïs des deux sexes se battaient donc côte à côte dans les premières périodes chronologiques du Japon médiéval comme l’ère Heian (714-1185) ou Kamakura (1185-1333). Certains noms de guerrières samouraïs de cette époque comme Tomoe Gozen ou Hangaku Gozen ont traversé le temps grâce à leurs grands faits d'armes.

S’il n’y avait qu’un nom à retenir, ce serait probablement Tomoe Gozen. Selon les historiens et les japonologues, son nom serait devenu le synonyme de femme guerrière dans l’histoire culturelle du Japon. Alliée intimement fidèle du général Kiso-no-Yoshinaka (1154-1184) du clan des Minamoto, elle vécut à ses côtés jusqu’à ce que la mort les sépare, plus précisément durant la guerre civile de Genpei, opposant leur clan à celui des Taira, fin XIIème siècle. Son courage, sa bravoure et ses multiples prouesses ont poussé son époux Yoshinaka à la nommer capitaine des troupes (Ippō no Taishō en japonais) dès le début du conflit, devenant ainsi la première femme à ce poste, respectée de tous.

La description des circonstances de la mort de son bien-aimé en dit très long sur le personnage ! Au début de l’année 1184, la guerre fait rage pour prendre le trône à Kyoto, mais les 300 guerriers qui composent le clan Minamoto ne sont pas assez nombreux face aux troupes ennemies de 60 000 personnes ! L'honneur interdisant à Minamoto de fuir, c’est Tomoe Gozen qui guidera ses hommes dans un combat. Une épopée durant laquelle Yoshinaka sera mortellement touché. Il demandera à Tomoe Gozen de quitter les lieux, pour, dit-il : « ne pas avoir honte de devoir mourir auprès d’une femme ». Mais Tomoe Gozen retourne au combat en direction du chef ennemi. Seule, face à 30 hommes qu'elle va pourfendre jusqu’au dernier, elle se bat finalement avec le capitaine ennemi qu'elle décapite. Sans jamais retourner voir son amour de toujours, qui succombera seul à ses blessures, elle quitte alors le champ de bataille en emportant la tête de son adversaire en guise de trophée.

Experte à monter les chevaux les plus fougueux, à dévaler la pente la plus raide, dès que l’on parlait bataille, vêtue d’une lourde armure aux plaques serrées, le grand sabre et l’arc puissant à la main, elle apparaissait à l’ennemi comme un capitaine de premier plan. Elle avait accompli de si brillants exploits que nul ne l’égalait -Heike monogatari -

On soulignera le choix des accords du texte de l'époque : « nul », et non « nulle », permet une comparaison strictement professionnelle – elle est plus forte que ses collègues – et non un compliment à son genre. Une qualité discursive dont ferait bien de s’inspirer le monde contemporain.

Même si Tomoe Gozen est l’icône la plus importante des onna-bugeisha, dont l’héritage est encore fortement présent dans les mangas et les jeux vidéos actuels, elle ne fut pas la seule à laisser une trace mémorable dans l’histoire des samouraïs. À la même époque, Hōjō Masako du même clan Minamoto ne connut jamais de défaite sur le champ de bataille. Elle fut même la première femme à partager les pouvoirs de Général, dit Shogun, après la guerre de Genpei.

Quand à Hangaku Gozen, qui commanda 3000 guerriers contre une armée de 10 000 soldats du clan Hojo, elle a été décrite dans la littérature japonaise par ces mots : « sans peur comme un homme et magnifique comme une fleur ».

On trouve aussi des traces de ‘Onna Bugeisha’ dans les périodes suivantes, jusqu’à la fin de la période Sengoku (1450-1600). L’historien Stephen Turnbull écrit dans « Samurai Women 1184-1877 » que les preuves archéologiques suggèrent une implication beaucoup plus importante des femmes dans les batailles que ce qu’on veux bien reconnaître aujourd’hui.

C’est avec l’époque Edo (1600) que va commencer un très important changement du statut de la femme au Japon. jusque là, le shintoïsme japonais qui est dominant imaginait les femmes dans de nombreux rôles importants. Gardiennes, prêtresses, déesses (kami), esprits (yokai), messagères : la gente féminine était globalement considérée comme co-créatrice de l’univers, au centre névralgique de son fonctionnement. Sa place est remise en question à l’aube des influences confucianistes chinoises de l'époque Edo, dont la morale laisse peu de place à ce qui n’est ni homme, ni viril. En effet, la hiérarchisation qui structure cette doctrine implique une séparation nette des genres. La femme au bas de l’échelle… Bien vite, les exemples de femmes guerrières tombent dans l’oubli, laissant croire à un passé uniformément masculin.

La femme, réduite à un objet de désir, va alors être considérée comme une menace. Dans un monde dominé par une pensée binaire qui espère trouver une forme de sagesse dans la maîtrise de ses tempéraments, la femme par qui l’homme hétérosexuel est attiré devient la coupable idéale. Si le sage échoue à refréner ses émotions, c’est qu’elle l’aura séduit, s’il n’échoue pas, c’est qu’il aura réussi à s’en protéger. À elle la culpabilité du mal, à lui les honneurs du bien. L'influence des monothéismes occidentaux se fait clairementressentir.

Les nouvelles conventions sociales Edo veulent que la femme ne puisse plus être une fière combattante mais qu'elle doit se cantonner au rôle d'épouse soumise et de mère attentionnée. Très rapidement les filles de nobles ou de généraux se voient interdire toute activité de combat et même souvent tout déplacement loin du domicile. La dernière 'Onna Bugeisha' célèbre sera Nakano Takeko (1847-1868) qui dirigeât un groupe de guerrières nommé ‘Jōshitai’. Lors des combats, elle a tué de manière officielle 172 samouraïs. Elle meurt d’une blessure par balle en menant la charge contre l’Armée Impériale Japonaise du domaine Ōgaki.

Les faits d’arme de Nakano Takeko et des ‘Jōshitai’ sont toujours célébrés dans le Japon moderne durant le festival annuel d’automne Aizu durant lequel un groupe de femmes portant la tenue adéquate défilent en leur honneur. Ces portraits de femmes samouraïs ayant bel et bien existé à des époques où les conditions de vie étaient largement plus difficiles qu’actuellement, viennent inévitablement briser le cliché encore alimenté de la femme japonaise faible, corvéable et réduite au service de l’homme. Ces informations historiques permettent également de nuancer la vision ô combien masculine des conflits passés, sur laquelle repose encore une grande partie du Japon tel que nous le connaissons au 21ème siècle. Et heureusement, ces histoires et figures légendaires de femmes samouraïs renaissent à travers l’imaginaire fertile de nombreux mangaka et artistes japonais qui, à leurs tours, forment le visage d’une culture nippone riche, profonde et contrastée où cohabitent de plus en plus de manifestations variées du féminin et du masculin.

Zénobie, Reine de Palmyre

- Publication du 05/01/2022 -

L'histoire de Zénobie est entourée de nombreux fantasmes ou légendes et il est bien difficile de démêler le faux de l'histoire de la « reine de Palmyre ». En réalité, elle ne fut jamais reine de Palmyre (comme il n'y eut jamais de royaume à Palmyre), mais fit connaître à sa cité sa plus grande prospérité.

Pour comprendre l'essor de Zénobie, il est nécessaire de faire un rapide aperçu de la situation politique romaine. Depuis la fin du 2ème siècle de notre ère, l'empire est menacé par des peuples germaniques au nord, la peste antonine frappe le bassin méditerranéen et le pouvoir politique est fortement disputé. De 238 à 253, 18 empereurs se passent la pourpre impériale et peu se maintiennent plus de cinq ans. Un grand nombre d'entre eux après avoir été proclamés empereurs par leurs troupes décèdent sur le champ de bataille. Des difficultés économiques et financières sont perceptibles. S'ajoute à cela une menace nouvelle de premier ordre. À l'est, les Perses Sassanides, grâce à une armée redoutable, conquièrent très vite de nouveaux territoires au détriment des Romains.

Dans ce contexte, Palmyre, cité romaine depuis le début du Ier siècle de notre ère devenue colonie au début du IIIe siècle est un enjeu majeur car elle est une puissance commerciale et un lieu de passage pour les caravanes mais elle est aussi proche de la frontière.

Odonaith, le mari de Zénobie

Avant d'aborder l'ascension de Zénobie, il est nécessaire de parler de celle de son mari sans qui rien n'aurait été possible. Notable de premier plan de la cité issu d'une famille importante palmyrénienne qui a reçu la citoyenneté romaine à l'époque de Septime Sévère, il fut resh Tadmor soit « chef de Palmyre ». Ce terme n'indique pas l'existence d'une royauté ou d'une principauté mais seulement qu'il était le « premier » de sa cité comme l'était Auguste au sein du Sénat. En 257-258, il est sénateur romain de rang consulaire. En obtenant cette distinction, il possède alors officiellement un imperium lui permettant de commander des troupes romaines. Son rôle militaire capital pour l'Empire et son ascendant politique de plus en plus fort sur la Syrie semblent indéniables.

Les années 259-260 sont un tournant majeur. En 260, l'empereur Valérien est capturé suite à une défaite près d'Édesse par les Perses sassanides. Odainath et son fils Haîran, associé à ses actions, poursuivent l'armée ennemie et s'empare du butin, des concubines du roi mais ne parviennent pas à délivrer l'empereur qui disparaitra à jamais en Iran. Suite à cette victoire, Odainath prend le titre de « roi des rois » perse ou shahinshah. Il conduit à nouveau ses armées contre les Sassanides et soumet Nisibe et la Mésopotamie. Il devient sans conteste une personnalité de premier plan de l'Orient romain sans que pour autant il ait souhaité s'affranchir de l'Empire. Au contraire, Rome soutient certainement son action car dans l'éventualité d'un succès d'Odainath, elle gagnerait un allié précieux.

Odainath est nommé curator de tout l'Orient et administre la province. Il crée une cour à Palmyre et fait savoir publiquement ses prétentions orientales. Avec un de ces amis promu "vice Roi", il va mettre en place une quasi autonomie mais en 267 se produit leur assassinat dans des circonstances demeurées assez obscures. Le lieu et l'auteur du crime diffèrent selon les sources anciennes. A-t-il été commandité par Rome qui tolérait de moins en moins les actions des deux hommes ? Par sa famille suite à un règlement de compte ou par sa femme ? Quoi qu'il en soit, c'est là que la célèbre épouse d'Odainath entre en scène et dans l'histoire.

Zénobie

Zénobie appartient à une famille très aisée de Palmyre. Elle s'est mariée avec « le roi des rois » probablement vers 255 et a un fils avec lui dans les années qui suivent. Son ascension se fait par l'intermédiaire de ce fils : elle n'est que la régente et tente de préserver l'héritage de son défunt mari. Très vite, de nombreux soutiens la suivent et les prétentions sont affichées publiquement. Sur des bornes militaires apparait la titulature du jeune homme. En 270, il est imperator et dux des Romains. Ce titre inédit, difficile à interpréter, et non porté par son père montre un réel tournant politique et le changement d'objectif majeur. L'enjeu politique n'est plus la Perse sassanide mais l'Empire lui-même.

Au cours de l'année 270, les choses s'accélèrent. Zénobie et son fils lancent de véritables opérations militaires pour prendre le contrôle de la partie orientale de l'Empire. Après avoir assuré la défense de la Syrie (notamment en construisant des fortifications), l'armée s'empare militairement de la province romaine d'Arabie. Après quelques opérations militaires, l'Égypte tombe à l'automne 270. La politique agressive de Zénobie et de son fils, Wahballath, ne semble pas susciter de réelles résistances. La conquête de l'Égypte est peut-être à l'origine de la légende selon laquelle Zénobie descendrait de Cléopâtre. Enfin les provinces d'Asie Mineure sont soumises avec moins de difficultés car peu de troupes étaient sur place à cette époque.

Jusqu'alors Zénobie et Wahballath entendent coopérer avec le nouvel empereur Aurélien. On en voit une illustration sur les pièces frappées où sont représentés Wahballath sur une face et Aurélien sur l'autre. Cette femme est donc parvenu au sein d'un Empire basé sur la force militaire, chose typiquement masculine ET dans une région du monde, le Proche Orient, où c'est traditionellement l'homme qui dirige à conquérir un pouvoir immense. elle est à ce moment là la seconde personne la plus puissante de l'Empire et c'est ça qui va donner naissance au mythe de "la Reine de Palmyre" et de son Empire aussi puissant que celui de Rome.

La réalité est légèrement différente. Nous sommes donc loin de l'image orientalisante d'une bédouine réclamant l'indépendance de sa région. Au contraire, tout le parcours de Zénobie s'intègre parfaitement dans le contexte impérial. Ainsi, le fils de Zénobie apparait dans les sources non littéraires comme l'égal d'un empereur avec les épithètes Persicus Maximus, Arabicus Maximus et Adiabenicus Maximus c'est-à-dire vainqueurs des Perses des Arabes et des Adiabènes. Ces épithètes indiquent traditionnellement les victoires de celui qui les porte ou de ses ancêtres (réels ou supposés) sur des peuples étrangers. Mais ces précisions historiques n'enlèvent en rien aux qualitéx immensex que devait avoir cette femme pour réussir un incroyable tour de force, devenir l'égal ou presque de l'Empereur le plus puissant de l'époque.

La chute

Mais la politique palmyrénienne est de moins en moins tolérée car elle menace directement Rome depuis qu'elle n'est plus tournée vers l'Est. L'erreur fatale va se produire à la fin de l'année 271 lorsque Zénobie se proclame Augusta et Wahballath César Auguste. La rupture avec Rome est consommée car l'empereur Aurélien qui acceptait Zénobie comme seconde personnalité la plus puissante de son Empire ne peut permettre qu'elle accède officiellement à son niveau. Il décide de mettre fin à l'aventure palmyrénienne et de passer à l'offensive. Il arrive à Byzance au début de l'année suivante. Une deuxième armée semble avoir reconquis l'Égypte sans véritable résistance. Aurélien et son armée conquièrent les unes après les autres les provinces d' Asie Mineure. Les troupes de Zénobie ne combattent pas durant cette première phase, elles se sont repliées vers la Syrie. La première grande bataille entre les deux armées à lieu aux environs d'Antioche et se solde par une défaite de Zénobie. La deuxième grande bataille a lieu à Emèse et à nouveau une défaite pour les Palmyréniens.

En juillet-août 272, Zénobie regagne Palmyre pour préparer sa défense. Malgré certaines difficultés, Aurélien arrive jusqu'à la ville qui ne dispose pas de réelles fortifications. Les éléments de défense présents étaient jusqu'alors discontinus mais ont certainement été améliorés hâtivement avant la bataille. Aurélien préfère négocier dans un premier temps. La ville se divise et certains souhaitent livrer la ville à l'empereur. La reine s'enfuit et la ville est prise sans résistance en août 272. Elle ne retrouvera plus jamais la gloire qu'elle avait connue précédemment.

Zénobie est capturée avec son fils. Le fils fut sans doute exécuté même si des doutes subsistent à ce jour. Zénobie sera transformée en ornement prestigieux du triomphe d'Aurélien à son retour à Rome. «Nue et parée de pierreries si énormes qu'elle croulait sous le poids des joyaux» nous rapportent certains textes de l'époque, «ses entraves et ses chaines étaient d'or». À l'issue du spectacle, elle aurait été graciée et aurait fini sa vie dans une villa italienne à Tivoli offerte par l'Empereur et aurait même eu une descendance...

Illustration

L'illustration en début de texte est une partie d'un tableau de Herbert Schmalz intitullé "Dernier regard de la reine Zénobie sur Palmyre" (1888).